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Un Alsacien dans l'Armée d'Armistice

Je tiens à remercier tout particulièrement Mme T. et M. S. pour le don des photos et des sources qui ont servies à la rédaction de cet article.

 

Faisons  un bref historique de l’Armée d’Armistice en métropole :
la convention d’armistice consigna les conditions de la défaite française de 1940. L’armée dut être en grande partie démobilisé et seule une force de maintien de l’ordre de 100 000 hommes en métropole fut autorisé par l’occupant. L’armement lourd fut proscrit (les calibres supérieurs au 75 mm) et soit démantelé, soit caché par certains cadres, dans l’attente de jours meilleurs. L’armée d’armistice dut resserrer les effectifs afin de créer une troupe de métier rajeunie autour d’officiers compétents. Cette armée de métropole avait surtout un aspect honorifique et traditionnel et et largement mise en avant par la propagande de l’État Français. On y vente la vertu du sport, le renouveau de la nation, et la modernité de l’armée. Celle-ci fut dissoute à l’invasion de la zone libre en novembre 1942. Certains cadres et hommes de troupe rejoignirent alors les maquis et participèrent à la libération. Le rôle majeur de cette « Armée nouvelle » se passera dans les colonies.


Voici le témoignage d’un Alsacien réfractaire partie vers la Suisse en février 1942, craignant l’évolution des évènements dans sa région. Il s’engage au sein du 159ème R.I.A. de l’Armée de Vichy, prestigieux régiment ayant valeureusement combattu en 39-40. Il retournera ensuite en Suisse en 1943 pour échapper à l’armée allemande avant de rejoindre la 1ère Armée en septembre 1944.

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Patte de col de la vareuse de Jean-Pierre S.  Les chiffres sont métalliques et cousus par de petites brides selon la directive d'avril 1935. Le disque inférieur inférieur identifie le 1er bataillon.

Le récit qui suit est la synthèse du témoignage du soldat Jean Pierre S. à partir d'un carnet tenue entre 1939-1942 et de ses mémoires écrites dans les années 90

 

« Nous serrâmes la main à nos gardiens, et, après avoir franchi une chicane, nous nous trouvâmes en France. Je ne peux vous dire quelle fut notre impression une fois que je vis de nouveau le drapeau tricolore ; après deux ans d’exil et d’annexion, j’étais de nouveau dans ma patrie. Je n’eus pas le temps de m’arrêter longtemps à mes réflexions, en effet les dernières formalités étaient à remplir. On nous visa nos papiers, puis un membre de la « Légion Française des Combattants » nous emmena dans une auberge voisine et nous offrit un vin d’honneur en nous félicitant d’avoir fait preuve de tant de fidélité envers la patrie. Puis nous reprîmes le tramway et nous attâmes jusqu’à Annemasse. Le soir nous mangeâmes au centre d’accueil et nous couchâmes à l’hôtel. Je restai 3 jours à Annemasse , je subis encore divers interrogatoires, puis le vendredi 13 février je fus dirigé sur Lyon où j’arrivai tard dans la nuit. Je passaits la nuit au centre d’accueil.

 

[Au petit matin, j’aperçus à l’entrée du Centre, un Aspirant en tenue impeccable, portant l’uniforme kaki et le béret alpin du 159ème Régiment d’Infanterie Alpine. D’autres officiers des différentes armes : infanterie, artillerie, cavalerie, étaient également présents. Ils venaient là afin de recruter des engagés volontaires pour l’Armée d’Armistice, le service militaire ayant été interdit par la convention d’armistice et remplacé par les Chantiers de Jeunesse. Je pris contact avec l’Aspirant qui me brossa un tableau engageant du service au « Régiment de la neige ». Ayant déjà pratiqué le ski dans les Vosges, j’oubliais les études secondaires à Lyon et me portais volontaire pour un engagement de 3 ans, toutefois n’étant âgé que de 17 ans, je demandai si cela serait possible : « sans problème !, me répondis-t-il. Vous obtiendrez une dispense d’âge du ministère de la guerre. »]

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Le soldat Jean Pierre S. au centre, en compagnie de camarades de régiment à Grenoble en 1942. Ils portent la vareuse modèle 38 avec l'insigne régimentaire à droite et la fourragère du côté gauche. La tarte, emblème des alpins complète l'ensemble.

Après beaucoup d’hésitations je me décidai, et le soir même j’arrivai à Grenoble, terme de mon voyage. Je débarquai à la gare avec deux camarades à 8h du soir, tout de suite j’allais à la caserne Bayard, là on me fit signer mon engagement provisoire de 3 ans et un sous officier m’emmena à la chambre de la compagnie qui devait être la mienne. Je traversai une grande cour pleine de neige, puis j’atteignis le bâtiment de la 4ème Compagnie ; c’était une construction à 1 étage, ma chambre se trouvait au 1er. Il y avait 20 lits et des planches pour les paquetages au-dessus de chaque lit, dans les coins, des râteliers d’armes. C’était là que je devais passer 10 mois de ma vie. A peine entré, je fus reçu par les occupants, pour la plupart des Alsaciens. Je fus [couvert] de questions, on m’apporta à manger ; après quoi je fis mon lit et j’allais me coucher. Pour la première fois de ma vie, je m’endormis au son du clairon qui sonnait l’extinction des feux.

[Je passe rapidement sur les mois d’instruction et la vie dans un régiment alpin, doté du matériel et de l’armement de 1940 et équipé de nombreux mulets, bien utiles en montagne.

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A 1800 m d'altitude en juin 1942 lors d'une manœuvre au Col de la Pra. Une partie de la 4ème Compagnie fait une pause lors de l'ascension.

Vers le mois de mai je tombai malade et fus hospitalisé. J’obtins alors un mois de congé que je passais sur la Côte d’Azur au centre d’hébergement de permissionnaires de St-Maxime. A mon retour, début juin, je fus envoyé à Freydières dans les Alpes pour y faire un cours « rocher » avec la compagnie. A mon retour, je fus nommé secrétaire de l’État Major du 1er Bataillon. J’y fis toutes les manœuvres. Je défilais à Challes les Eaux, le 28 avril devant l’Amiral Darlan.

[Au mois de juin 1942, je fus affecté au Peloton des Élèves Gradés, afin de préparer l’examen de caporal. Le Régiment comptait de très nombreux évadés Alsaciens et Mosellans et nos officiers nous instruisaient dans l’esprit d’une reprise des combats contre l’Allemagne.

Au mois d’août 1942, le régiment passa sous les ordres du Colonel Duval, qui réunit tous les Alsaciens et Lorrains et leur déclara qu’il venait d’Ankara où il avait rempli les fonctions d’attaché militaire à l’ambassade de France en Turquie. Il affirma que les Allemands, qui avançaient triomphalement vers le Caucase, en Russie, avaient subi des pertes colossales en hommes et qu’ils ne pourraient gagner la guerre. Il ajouta : «  Je souhaite avoir bientôt l’occasion de vous ramener en Alsace et en Lorraine en combattant l’ennemi ».]

 

Après cela on envoya la compagnie à Monestier de Clermont pour y faire des coupes de bois. Au mois de novembre je rentrai à Grenoble, c’était le 10, pour y passer un samedi et dimanche de permission de 36 heures.

[Le régiment fut dissous peu de temps après dans le cadre du démantèlement de l’armée d’armistice suite à l’invasion de la Zone Libre.]

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Le soldat Jean Pierre S. à Grenoble en 1942. On note la fourragère de la Croix de Guerre et l'insigne régimentaire (de travers !) porté du côté droit.

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Insigne régimentaire du 15-9, on remarque l'edelweiss, emblème des troupes alpines. Au dos, on retrouve les marques du fabricant Arthus Bertrand, typiques des fabrications du second conflit mondial.

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